Communication numérique

Enseignement supérieur et Twitter/X : faut-il partir ?

Cela fait quelques mois que le sujet agite et interroge les communicants publics, et plus encore les établissements d’enseignement supérieur : faut-il quitter Twitter / X ? Parce que nous sommes une agence engagée en faveur de la communication publique et de l’enseignement supérieur, parce que le numérique responsable fait partie de nos sujets de prédilection, nous suivons bien évidemment avec grand intérêt ce sujet. On vous partage quelques unes de nos réflexions.

Quels sont les établissements qui ont quitté Twitter ?

Rendons tout d’abord à César ce qui lui appartient. Le rachat par Elon Musk de Twitter en octobre 2022 a entraîné assez vite la stupeur des établissements d’enseignement supérieur. Dès janvier 2023, l’association des professionnels de la communication des universités Comosup organisait avec ses membres un temps d’échanges « Quitter Twitter, et après ? ». Mais il aura fallu attendre fin août pour que l’une d’entre elle passe à l’action, en l’occurence l’Université Rennes 2. Rapidement, elle va être suivie par de nombreux autres établissements. À ce jour, nous en identifions une quinzaine.

NB. Nous mettons à jour en continu cette section de notre article de blog, afin de tenter d’être le plus exhaustif possible. Si vous constatez un manque, n’hésitez pas à nous le signaler !

« Quitter » ou « mettre en veille » ?

Chacune de ces institutions a ainsi publié ces derniers mois un communiqué sur Twitter, rappelant les raison qui l’amenaient à… « quitter », « à se mettre en veille », ou « à se retirer ». Les mots ont ici du sens. Bien peu d’institutions ont pour le moment réellement désactivé leur compte (à notre connaissance uniquement Science po Toulouse et École des Ponts Paris-Tech, l’Université de Strasbourg s’est engagé à le faire d’ici mi-février). Les autres semblent donc plutôt cesser d’animer et d’être présent sur leur compte, sans forcément supprimer l’accès à une communauté patiemment construite, laissant ouverte la porte à d’éventuels jours meilleurs.

Les raisons invoquées dans ces communiqués se catalysent autour de la non-application du Digital service act, notamment en matière de lutte contre la haine en ligne et la désinformation. Ce sujet interroge la communauté universitaire, notamment dans son rôle de diffusion de la recherche et le sort réservé à certains chercheurs amenés à prendre la parole autour de leurs travaux de recherche. Le licenciement d’une partie des équipes de modération de Twitter, l’absence d’action contre les comptes complotistes, voire même leur réintégration dans la communauté Twitter ont petit à petit acté le désamour entre l’ESR et le réseau d’Elon Musk.

Si d’autres n’ont pas communiqué « officiellement » sur leur départ, on peut cependant noter leur silence radio sur le réseau, à l’instar de l’université de Rennes, qui n’interagit ni ne publie plus depuis septembre.

Éthique de conviction et éthique de responsabilité

Alors, faut-il quitter Twitter/X ? Ou du moins, faut-il le faire pour les raisons éthiques invoquées ci-dessus ? Le débat est, nous semble-t-il un cas d’école de la tension entre « l’éthique de responsabilité » et « l’éthique de conviction », théorisée par Max Weber (et résumée par France Culture). En d’autres termes, la fin justifie-t-elle les moyens (éthique de responsabilité) ou la morale prime-t-elle sur l’objectif poursuivi (éthique de conviction) ? Qui expliquerait d’ailleurs pourquoi, parmi les tenants d’une « éthique de la conviction », ceux qui ont souhaité quitter Twitter ont proposé en substitution de se tourner vers Mastodon, jugé plus vertueux (décentralisation, open source, respectueux de la vie personnelle, etc.). En retour de quoi, les tenants de l’éthique de responsabilité ne manquent pas de souligner que Mastodon ne possède pas, en l’état, une communauté aussi importante que Twitter, et qu’il ne permet donc d’atteindre de manière satisfaisante l’objectif poursuivi.

Mais si l’éthique est l’enjeu principal d’un départ de Twitter, ne faut-il pas s’interroger plus globalement sur la présence des établissements d’enseignement supérieur sur les autres réseaux sociaux, alors que l’on sait que ceux-ci, sans exception, sont nocifs pour la santé mentale, représentent des risques pour la souveraineté de nos données, dégradent notre empreinte carbone et sont suspectées d’agir pour déstabiliser nos démocraties ? En la matière, bien peu d’établissements sont encore prêts à franchir le pas en fermant leurs comptes sur l’ensemble des réseaux sociaux, et objectent qu’ils ont besoin de ces plateformes pour « diffuser leurs informations », voire même pour « exister ».

Cela nous amène alors à l’inévitable question : quel est l’intérêt pour une institution d’être présente sur les réseaux sociaux ? En la matière, nous en sommes convaincus à l’agence : l’objectif d’une présence sur les réseaux doit être avant tout de viser l’interaction avec sa communauté. Mais qui dit interaction dit aussi, parfois, désaccord, débat et même opinions irréconciliables. Twitter doit-il être quitté parce qu’il est le lieu d’opinion que l’on ne souhaite plus entendre ? Sauf preuve du contraire, Twitter reste le réseau de « la fabrique de l’information » (même si son rôle est battu en brèche y compris par TikTok, comme nous l’expliquions il y a peu). Le quitter, c’est laisser le champ libre à une seule opinion. C’est reculer sur le terrain de la bataille des idées et donner raison à la complosphère (et aux autres…). Comme le résumait il y a peu Romain Pigenel pour Cap’com, « quand les dégoûtés s’en vont, il ne reste que les dégoûtants« . Allons plus loin : le rôle de la communauté scientifique n’est-il pas aujourd’hui, dans ce moment particulier, de se battre pour ne pas laisser les contre-vérités s’installer, quitte à justement employer les armes du camp d’en face. Il y a là encore belle matière à discussion philosophique, sur la responsabilité des scientifiques dans la vie de la cité.

On le voit, le sujet est complexe. Il pose en tout cas une nouvelle étape dans la réflexion sur la place que doivent avoir les réseaux sociaux dans le mix média des établissements. Si vous les voyez plutôt comme des canaux de diffusion, assurément l’analyse du taux d’engagement et la portée incite à les quitter… et pas uniquement Twitter. Si vous les voyez comme des lieux de dialogue, cela impose certainement un changement de posture, pour une adresse plus incarnée, plus authentique, peut-être plus clivante.

Pour aller plus loin

  • Viniacourt, E., & Afp. (2023, 17 octobre). Fatiguée par la désinformation et la haine, l’Université Aix-Marseille se retire de X (ex-Twitter). Libération.
  • Nafti, S. (2023, 7 novembre). Suspendre son compte X, une question « éthique » pour certains établissements du supérieur. L’Etudiant.
  • Berthelemy, C. (2023, 9 novembre). Pourquoi les écoles et les facs quittent X (ex-Twitter) ? Le Parisien.
  • Veissier, L. (2023, 16 novembre). Faut-il quitter X ? TheMetaNews.
  • Wallet, P. (2023, 14 décembre). Pourquoi les universités quittent-elles progressivement X (ex-Twitter) ? Le Figaro Etudiant.
  • Balzinger, C. (2024, 25 janvier). Pour « ne pas alimenter la haine » , l’Université de Strasbourg quitte Twitter. Rue89 Strasbourg

© Image générée avec l’intelligence artificielle (Dall-e + photoshop beta)

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