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Circulaire Lecornu et dépenses de communication : quel impact réel pour les universités ?

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La parution d’une circulaire par le Premier ministre visant à instaurer un moratoire immédiat sur les dépenses de communication de l’État suscite de nombreuses interrogations dans l’enseignement supérieur et la recherche. Certains établissements ont gelé des commandes par prudence ; d’autres, au contraire, considèrent qu’ils ne sont pas concernés. Cette diversité de réactions traduit une incertitude réelle quant à la portée du texte et à son application éventuelle aux universités. Afin d’apporter un éclairage clair et opérationnel, il est utile de rappeler le cadre juridique et budgétaire qui s’impose aux Établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP).

Pourquoi les universités ne sont pas directement concernées

1. Une circulaire n’a pas de valeur normative

Une circulaire :

  • n’est pas un décret,
  • n’est pas un arrêté,
  • ne crée pas d’obligation juridique nouvelle.

Elle oriente l’action de l’administration mais n’a pas de portée contraignante sur des personnes morales autonomes, comme les universités.

2. Les universités bénéficient de l’autonomie financière

En tant qu’EPSCP, les universités disposent :

  • d’un budget voté en CA,
  • de la liberté d’exécution du budget,
  • du pouvoir d’engagement de leur ordonnateur.

En termes de hiérarchie des normes, la loi Libertés et responsabilités des universités (2007) prévaut ici sur la circulaire.

➡️ De fait, ni le Premier ministre, ni la tutelle, ne peuvent modifier en cours d’année un budget déjà voté.

3. La circulaire vise l’État et ses opérateurs relevant directement des ministères

Le texte concerne :

  • les ministères,
  • leurs services,
  • les opérateurs dont les dépenses sont intégralement pilotées et exécutées par l’État.

Les universités :

  • ne sont pas des services de l’État,
  • ne sont pas des directions d’administration centrale,
  • ne relèvent pas de l’État pour l’exécution de leur budget.

➡️ Elles n’entrent donc pas dans le champ juridique d’application directe de la circulaire.

4. La tutelle (MESR) n’a pas transmis d’instruction spécifique aux établissements

À ce jour, aucune instruction ministérielle adressée aux EPSCP n’indique que la circulaire Lecornu doit être appliquée. Plusieurs DAF et DGS ont d’ailleurs clairement indiqué ne pas l’appliquer.

Et si une université souhaite malgré tout appliquer la circulaire ?

Certaines équipes peuvent vouloir « faire du zèle », se protéger ou appliquer un principe de précaution.

Dans ce cas, il est essentiel d’adopter une lecture mesurée afin d’éviter des décisions disproportionnées.

Voici les quatre points à considérer.

1. Considérer les dates

La circulaire est datée octobre 2025 et prévoit un moratoire « à compter de ce jour ».

➡️ Elle ne s’applique pas rétroactivement.

À prendre en compte :

  • devis émis avant la circulaire = non concernés,
  • projets budgétés et inscrits dans le BP 2025 = non concernés,
  • actions déjà engagées ou prévues dans l’EPRD = non concernées.

Un gel de commandes portant sur des prestations validées avant la circulaire n’a pas de fondement juridique.

2. Considérer le cadre de la prestation

Même pour les dépenses postérieures à la circulaire, il est important de distinguer :

  • prestations obligatoires (site web institutionnel, communication interne, obligations réglementaires),
  • prestations liées à l’offre de formation ou au recrutement,
  • actions de prévention ou de santé publique,
  • prestations de stratégie ou d’audit,
  • prestations média / événementiel / achat d’espace (plus clairement visées par la circulaire).

➡️ La circulaire vise surtout les dépenses de communication d’image, achat d’espace, audiovisuel, événementiel.

La plupart des actions de communication de l’ESR relèvent de missions de service public et de continuité institutionnelle, et entrent dans les exceptions ou en tout cas dans une zone non visée.

3. Considérer le montant

Même dans un esprit d’application stricte :

  • une prestation modeste,
  • liée à des besoins obligatoires ou fonctionnels,
  • intégrée dans un marché existant,
  • ou portant sur un montant faible,

peut parfaitement être engagée sans être assimilée à une « dépense de communication structurante » au sens de la circulaire.

➡️ La DITP elle-même distingue les commandes structurantes des opérations non significatives.

4. Considérer les conséquences d’une décision excessive

Un gel complet peut :

  • bloquer des projets stratégiques déjà engagés,
  • entraîner des retards (rapports, obligations de communication légale),
  • mettre l’université en difficulté face à ses partenaires (labex, fondations, établissements associés),
  • affaiblir la capacité de recrutement et de pilotage de la communication,
  • rompre la continuité du service public.

➡️ Appliquer une circulaire qui ne s’applique pas aux universités peut créer plus de risques qu’elle n’en prévient.

Pour aller plus loin

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