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Intelligence artificielle : attention à la perte de compétences

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Article publié dans le magazine Brief, novembre 2024

L’intelligence artificielle est une rupture, dont les possibilités font tourner la tête des communicants (création de contenus, d’images…). Si le revers de la médaille a vite été pointé (bilan carbone, biais algorithmiques, crainte pour l’avenir des métiers), il est un aspect dont on parle assez peu : celui de l’impact sur nos propres compétences.

L’intelligence artificielle va-t-elle modifier nos méthodes de travail ? Si oui, y’a-t-il un risque pour que certaines de nos compétences soient perdues, à force de ne pas être mobilisées ? Est-ce un problème ? Et comment s’assurer que ce déplacement de compétences ne soit pas subi mais choisi ?

Pour entrer dans le sujet, laissez-moi vous raconter une histoire. 

En début de carrière, l’un des premiers dossiers qui m’avait été confié était la rédaction d’un dossier de deux pages sur le budget de la collectivité dans laquelle je travaillais alors. Je me souviens de l’abondante documentation mise à ma disposition : un rapport budgétaire épais comme une ramette de papier, truffé de tableaux, graphiques et pages de textes dont les titres m’inspiraient à peu près autant que leurs contenus.

Si le chargé de communication que j’étais à l’époque avait eu ChatGPT à sa disposition, nul doute qu’il aurait tenté quelques prompts pour sortir la moëlle de ce magma et ainsi s’assurer (et se rassurer sur) une écriture rapide dudit dossier. 

À défaut, 4 jours durant, je suis passé par un nombre incroyable de phases (curiosité, découragement, enthousiasme, peur) avant de finir par livrer mes deux feuillets.

Une optimisation pas si optimale

De la même manière qu’on a coutume de dire qu’en vacances, ce n’est pas la destination mais le voyage qui compte, et si l’intérêt de cette rédaction dépassait la livraison des 4000 signes qui m’étaient demandés ?

Je suis aujourd’hui conscient que le temps passé à comprendre la matière fournie m’a globalement aidé à mieux maîtriser la mécanique budgétaire d’une collectivité. Des années plus tard, elle me permet de ne pas défaillir quand un élu, un service ou un examinateur de concours me parle d’effet ciseau ou de capacité d’auto-financement. 

C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que j’ai du mal à confier mes prises de note ou mes compte-rendus de réunion à firefly.ai ou consors. Chaque fois, j’ai l’impression de manquer l’étape où je pétris la matière, au terme de laquelle j’ai réellement identifié et mémorisé les enjeux et messages essentiels. 

Je formule donc l’hypothèse suivante : il n’y a pas que l’IA qui a besoin d’être entraînée. C’est aussi le cas du cerveau humain. Et le temps passé devant un sujet joue un rôle essentiel.

Confier certaines tâches à votre cerveau plutôt qu’à l’intelligence artificielle, expérimenter, se tromper, recommencer, c’est une manière d’améliorer dans la durée vos compétences.

La capacité à comprendre et décrypter les politiques publiques, à identifier les enjeux, les messages et termes appropriés, ce sont là les compétences essentielles du communiquant. Méfions-nous qu’au nom d’un pas supplémentaire vers l’optimisation, nous n’émoussions certains de nos réflexes métier. Pour toutes ces raisons, je crois que les communicants ne doivent pas utiliser l’IA pour l’analyse, le résumé, la rédaction ou même la création d’un plan de com’.

Combler les angles morts

Entendons-nous, je ne suis nullement en train de dire qu’il ne faut pas utiliser l’IA. Je m’interroge plutôt sur ce que j’ai envie de lui confier. Je crois que son atout principal est d’être mobilisé sur un matériau vraiment vaste, ne pouvant qu’imparfaitement être analysé par un humain.

Il y a par exemple des choses à imaginer autour de la mise à jour de nos supports. Pourrait-on confier à une IA, qui aurait préalablement digéré la liste exhaustive de nos productions, un rôle d’alerte sur les contenus à mettre à jour après chaque séance du conseil municipal ?

Pourrait-on aussi s’en servir pour combler un angle mort de la communication publique : l’écoute de nos communautés ? Par exemple en demandant à l’IA de digérer toutes les mentions de votre institution par vos habitants et usagers, sur les réseaux sociaux ou par le formulaire de contact de votre site. On pourrait alors créer des contenus répondant aux besoins essentiels des usagers, ou faire remonter à nos décideurs les préoccupations émergentes.

En somme, utiliser l’intelligence artificielle non pas sur ce qu’on sait déjà faire, au risque de ne plus savoir le faire demain. Mais plutôt sur ce qu’on fait peu ou mal aujourd’hui.