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Les portes des grandes écoles, l’ouverture en question

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En septembre dernier, la sociologue Annabelle Allouch publiait “Les nouvelles portes des grandes écoles” aux éditions PUF. Dans cet ouvrage, l’auteure compare les politiques d’ouverture à la diversité de trois grands établissements (Sciences Po, l’ESSEC et Oxford), et s’interroge sur les résultats de ces politiques.

Crédit photo : Mediapart, L’ouverture sociale des grandes écoles, 2022

Annabelle Allouch, sociologue

Maîtresse de conférences à l’université de Picardie-Jules Verne (CURAPP) et chercheuse à l’INA. Elle a notamment publié deux ouvrages sur les concours et classements : La Société du concours. L’empire des classements scolaires (Seuil, 2017) et Mérite (Anamosa, 2021).

Comment avez-vous choisi les trois établissements que vous avez étudiés ? Sciences-Po, l’Essec et l’université d’Oxford ? 

Les trois sont des institutions parmi les écoles qui forment les élites, mais aussi et surtout, elles font partie des établissements pionniers sur le sujet de l’ouverture sociale. 

Sciences Po a créé en 2001 un dispositif d’égalité des chances, initiative de  l’ancien directeur emblématique de l’école, Richard Descoings. L’ESSEC et Oxford y sont venus en 2003. Le but de mon travail était de comparer les politiques de ces établissements et de mettre à distance les questions que l’on se pose en France pour prendre du recul. J’ai découvert que les choses étaient assez similaires.

Crédit photo : Celette / CC BY-SA 4.0

Quels ont été les grands changements dans le recrutement des grandes écoles ? 

Les écoles n’ont pas toutes les mêmes outils institutionnels – même si la convergence est en train de se faire petit à petit – , mais sur le fond, elles se posent les mêmes questions sur l’accès de la diversité. Ces questionnements sont de plus en plus importants dans un contexte à la fois d’augmentation des frais d’inscription mais aussi d’augmentation de la concurrence. En Grande-Bretagne, en 1997, au moment de l’arrivée de Tony Blair au pouvoir, les frais de scolarité ont été dé-régulés. Ils sont passés, à Oxford, de 3000 à 9000 livres sterling (hors frais de logement et de déplacement).

Crédit photo : Kaofenlio / CC BY-SA 3.0

Ce fut aussi le cas à Sciences Po. Leur interrogation principale est de savoir comment ces augmentations de frais et de concurrence peuvent se faire sans être au détriment de la diversité sociale. Ces questions ont abouti en France à une réflexion sur la lutte contre les discriminations et l’utilisation de leviers de type soft-laws, demandes de médiation, création de la Halde. 

Quels sont les principaux résultats de votre travail de recherche ?

Mon but avec cette étude était de montrer comment les établissements mettent en œuvre concrètement les dispositions prises à l’échelle politique. Quand on entend parler de ces sujets dans les médias, le traitement est souvent orienté vers l’effet de ces mesures sur les élèves, et très rarement sur les établissements. Or, cela amène beaucoup de changements dans les établissements mais finalement assez peu sur la composition sociale des étudiants. 

Je me suis rendue compte que les grandes écoles, qui ont plutôt de gros moyens, ont tendance à mettre en place une véritable “bureaucratie de la diversité”, avec de vraies fonctions dédiées dans les organigrammes. Les admissions et les concours de moralisent et se politisent :

J’ai pu rencontrer de véritables militants de l’ouverture sociale, convaincus et sincères. Le hiatus se situe dans le fait que ces instances ont tendance à être circonscrites à des sujets administratifs, et assez éloignées des organes de prise de décision et des instances financières. 

Cette politique d’ouverture des portes a été beaucoup critiquée ou mise en question, a-t-elle eu néanmoins des vertus ?

La première vertu a été de rendre ce sujet incontournable. Mon livre ne souligne pas que les problèmes, mais aussi les avancées, et notamment comment la diversité a progressé. Une nouvelle “économie morale des concours” a vu le jour. Aujourd’hui on ne peut plus penser un concours ou un processus d’admission sans penser la diversité. 

Ces sujets sont souvent très médiatisés, que pensez-vous de la communication qu’en font les établissements ?

La communication est très importante, et elle l’est de plus en plus. Elle est prise en main en interne ou par des cabinets de consulting, notamment autour de l’évaluation des dispositifs. Plus un dispositif est médiatisé, plus il a de chances de cibler des publics divers, c’est une partie essentielle de la stratégie car cela peut avoir un effet très marqué sur l’attractivité notamment auprès des lycéens ou des prescripteurs. 

Crédit photo : Fauxels / Pexels

Vous parlez du “poids de l’ouverture sociale”, de quoi s’agit-il ? Quelles sont les conséquences de l’ouverture sur les grandes écoles ?

Il y a beaucoup de fantasmes autour de ce sujet. Les journaux de droite parlent de risque de baisse du niveau, de perte de valeur des diplômes… Mais dans les faits, l’entrée par la diversité est très minoritaire. J’ai constaté dans mes observations que le niveau général a très peu bougé. Dans le cas de Sciences Po, il a même augmenté : il y a par exemple aujourd’hui 75% de mentions très bien. Pour l’Essec le concours est le même pour tout le monde, donc il n’y a aucun risque que les boursiers fassent baisser le niveau. 

Quelles solutions pourraient être imaginées pour réellement modifier la composition des effectifs étudiants ?

Mon rôle en tant que sociologue n’est pas d’imaginer des solutions, mais je pense que rapprocher les espaces de réflexion sur la diversité et les instances décisionnaires et financières pourrait améliorer l’efficience de ces politiques.

Il faut aussi garder en tête que l’université est le lieu principal de la massification de la diversité sociale. Il faut donc aussi financer les universités à ce titre. Le sujet de la reproduction des élites ne peut pas être cantonné aux sélections des grandes écoles. 

Cet article est issu de notre #ComESR2023. Exclusivement disponible sous format papier, vous pouvez encore le commander !

Crédit photo pleine page : Dom Fou sur Unsplash