[ON TOUR] Nous avons analysé plus de deux années de déplacements de Frédérique Vidal au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Mieux vaut être parisien et porteur d’Idex que provincial et sans PIA.
On ne saurait vous dire où et comment a germé l’idée. Il n’est pas impossible qu’elle soit née à la lecture de tweets ou dépêches évoquant le passage de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation dans un établissement. Il n’est pas impossible non plus que nous nous soyons dit alors : “encore dans cette université ?”. Pour contrecarrer nos impressions et bâtir notre réflexion sur “les faits, rien que les faits”, nous nous sommes donc lancés tête baissée dans les datas.
Nous avons ainsi analysé les déplacements de Frédérique Vidal dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche depuis sa prise de fonction en mai 2017, jusqu’au 20 septembre 2019, date de sa conférence de presse de rentrée. Au total, nous avons recensé 130 déplacements, allant de la visite d’un laboratoire à l’inauguration d’un bâtiment en passant par une participation à un dîner de gala. De Paris à Kourou, en passant par Lyon, Bordeaux, Nice, Toulouse…
Au-delà de notre passion pour les chiffres et les tableaux Excel, nous étions curieux de savoir ce que ces déplacements officiels pouvaient nous apprendre de la géographie – voire de la géopolitique – française de l’enseignement supérieur.
Prime aux lauréats Idex-Isite
Sur les 130 déplacements recensés – vous trouverez ici notre méthodologie – c’est la région académique Ile-de-France qui en a accueillis le plus. Suivent ensuite, par nombre de visites, Auvergne-Rhône-Alpes, PACA et Occitanie. Ce top 4 est peu surprenant, puisqu’il reste fidèle, dans les grandes lignes, à la démographie française du sup’. Seule exception à cette règle, la bonne place occupée par PACA dans la tournée de Frédérique Vidal, qui est loin d’être la région de France accueillant le plus d’étudiants. Mais qui est celle d’origine de la ministre.
Si l’on grossit la carte en observant les villes qui ont fait l’objet d’étapes ministérielles, Paris sort – sans surprise – nettement du lot. En un peu plus de deux ans, Frédérique Vidal a participé à 63 événements dans la capitale. Mais il existe toutefois une différence de taille avec ses déplacements en régions. À Paris, 8 événements sur 10 ne sont pas des visites classiques d’établissements, comme c’est majoritairement le cas en province, mais des participations à des colloques nationaux et internationaux, des tables rondes, des remises de prix abrités par les établissements. Force est de constater que c’est encore et toujours en région parisienne que se tiennent la grande majorité des événements nationaux (dont ceux organisés par le ministère, comme le lancement d’opérations telles #Sciences2024 à l’École Polytechnique ou “Stop aux violences sexistes et sexuelles dans l’ESR« , à Paris-Dauphine.
Après Paris, sept villes se démarquent, pour avoir accueilli plus de 2 visites de la ministre en deux ans : Marseille, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Grenoble, Nice et Lille. Au-delà de la place démographique occupée par ces grandes métropoles, un autre point commun saute aux yeux : toutes abritent un site qui a été lauréat Idex ou Isite (Bordeaux en 2011, Marseille en 2012, Grenoble et Nice en 2016, Lille, Lyon et Montpellier, en 2017). Et pas d’inquiétude, Frédérique Vidal s’est bien rendue sur le plateau de Saclay ! Mais la géographie du secteur étant ce qu’elle est, il faut se livrer à une petite addition pour faire apparaître le territoire dans les radars : en 2 ans, la ministre a ainsi réalisé 4 déplacements sur le plateau.
À noter que sur les quarante villes visitées, la majorité (26) n’a accueilli qu’un seul passage de la tournée de Frédérique Vidal.
Les universités, territoires accueillants
Ce sont les universités qui accueillent le plus souvent la ministre. Depuis 2017, elles ont généré 45 % des déplacements. Nous intégrons dans cette catégorie universités, Comue et autres regroupements universitaires à la forme pas encore toujours identifiée. Hors Paris, où Sorbonne université rafle la mise, certaines sortent particulièrement du lot : c’est le cas de l’université de Bordeaux, où la ministre réalisait en mai 2017 son premier déplacement officiel ou de l’université de Montpellier – plus visitée que sa voisine Paul-Valéry.
A Bordeaux pour signer la convention de dévolution du patrimoine d’État à l’@univbordeaux qui permettra de transférer à l’établissement la pleine propriété de ses bâtiments. Une nouvelle étape vers l’autonomie et un levier puissant pour la politique patrimoniale de l’université ! pic.twitter.com/AKWe4cPu51
— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) 15 juillet 2019
Les établissements de recherche arrivent ensuite en deuxième position des déplacements ministériels. Dans cette catégorie, la palette est large et répartie sur l’ensemble du territoire français. Il est intéressant de noter toutefois que la ministre se rend régulièrement à des cérémonies organisées par ces établissements (remise de médailles CNRS, lauriers INRIA, etc.).
Troisième catégorie, ce que nous avons nommé les “autres grands établissements”. On y trouve les ENS, les Sciences Po, Paris-Dauphine ou encore le CNAM. C’est Sciences Po Paris qui comptabilise le plus de visites de la ministre, suivi de Paris-Dauphine et du CNAM. La typologie des déplacements dans ces établissements mérite d’être décortiquée : sur les 7 que nous avons recensés pour Sciences po, 4 sont liés à la vie de l’établissement (pose de la première pierre du nouveau campus, participation à un Grand oral étudiants et présence, 2 années de suite, au gala annuel). Les autres sont liés à l’hébergement d’événements dépassant le simple cadre de la vie de l’établissement.
Quelques établissements, agences d’événementiel
Bien évidemment, chaque visite de Frédérique Vidal porte en elle un message politique. Que ce dernier soit explicite – lancement en janvier 2018 de la mission nationale Campus Connectés à l’université de Strasbourg – ou plus discret – une visite à l’université de Bordeaux à l’occasion de la dévolution du patrimoine permet de rappeler la position du ministère sur le sujet.
Mais au-delà de ces déplacements qui s’inscrivent dans un temps politique et stratégique clair, d’autres types de visites ne renvoient pas les mêmes messages. C’est le cas des déplacements que nous avons catégorisés de la façon suivante : “déplacement pour assister à un événement organisé par l’établissement”, qu’il soit dans les murs ou hors les murs. La participation au gala annuel de Sciences po (à l’hôtel Intercontinental) n’a pas la même portée que la visite du centre de simulation iLumens, à l’université de Paris. Il est clair qu’arriver à “faire venir” la ministre à son événement, type 30 ans, 50 ans, est toujours une belle prise pour un établissement. Mais rares sont ceux à décrocher la timbale. En 2 ans, quelques-uns y sont parvenus, uniquement des établissements de recherche (50 ans de l’INRIA, 130 ans de l’Institut Pasteur) et “d’autres grands établissements” (30 ans de l’ENS Lyon, cérémonie de voeux de l’EPHE).
Nous célébrons aujourd’hui les 50 ans de l’@Inria. 50 ans de grandes mutations de la société par une recherche d’excellence #50ansInria pic.twitter.com/aa3nYghCZ5— Frédérique Vidal (@VidalFrederique) November 7, 2017
Les structures qui tirent leur épingle du jeu dans notre recensement sont celles qui ont fait de l’accueil événementiel une stratégie assumée de développement. À ce petit jeu, c’est Paris-Dauphine qui s’en sort le mieux : l’établissement a accueilli sur son site parisien six fois la ministre depuis mai 2017 sans que cette dernière ne soit venue une seule fois pour un événement maison. À chaque fois, Paris-Dauphine abritait un événement de portée nationale (Think Edu de NewsTank ou rendez-vous portés par le gouvernement). Le CNAM occupe également une place intéressante sur ce créneau, avec notamment la mission IA qui a été lancée dans ses murs en septembre 2017.
Quand le déplacement devient un exercice stratégique
Quelle que soit la nature de la visite, un déplacement de Ministre n’est jamais anodin. C’est autant un acte politique qu’un acte de communication. Il peut être ardemment désiré par un établissement, et planifié de longue date, comme subi et improvisé à la dernière minute. Dans tous les cas, il aura des retombées. Que les universités et écoles le veuillent ou non.
En mobilisant préfecture, rectorat, parfois élus locaux, journalistes, mais aussi militants, syndicats, courtisans, etc., le déplacement devient un exercice stratégique et communicationnel à double tranchant : réussi ou raté, influençant l’hôte ou le visiteur.
Du côté des ministres, la longue traine des cortèges officiels ou des carrés TGV en première classe dessine in fine une intention, des préférences, un message. Les visites sont-elles aussi maîtrisées du côté des établissements ?
Prime aux établissements publics
Sur les 130 déplacements recensés, quasiment tous se sont déroulés dans un établissement public. Seules cinq exceptions sont à noter : Frédérique Vidal s’est rendue dans deux business schools (ESCP Europe pour un projet étudiant et HEC à l’occasion de l’université d’été du Medef), une école d’ingénieurs (Unilasalle). Elle a également visité l’Ecole nationale de commerce, à Paris et la Digital Academie.
Notre méthodologie
# Sources. Pour analyser les déplacement de Frédérique Vidal dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, nous nous sommes appuyés sur trois sources publiques : • l’agenda de la ministre, qui est, comme tous les agendas ministériels, mis à la disposition du public sur le site du ministère mais aussi sur la plateforme publique OpenData • les tweets de la ministre • les événements et actualités du ministère Pour consolider ces données, nous avons recoupé les informations grâce aux dates des événements et des tweets. Nous avons également consulté les articles de presse spécialisée et locale. Nous avons uniquement pris en compte les déplacements ayant pour cible un établissement d'enseignement supérieur et de recherche.
# Catégories de déplacements. Nous avons catégorisé ces déplacements de la façon suivante : • déplacement dans un établissement pour parler de l’établissement. Cette catégorie comprend tant les visites type dévolution du patrimoine à l’université de Bordeaux que la participation aux événements “maison”, tels les 30 ans de l’ENS Lyon). • visite dans un établissement, pour participer à un événement hébergé par cet établissement (ex : lancement de la mission IA, au CNAM, rencontres de l’ESRI, par l’AEF à Sorbonne université) • participation à un événement d’un établissement, organisé hors les murs (gala de Sciences po, à l’hôtel Intercontinental, remise des lauriers 2018 INRA au théâtre Edouard VII).
# Nom des établissements. Nous avons pris le parti d’attribuer aux établissements leur nouveau nom de marque pour toute la durée étudiée (mai 2017-septembre 2019), quelle que soit la date du changement de nom. Ainsi, l’université Paris-Descartes n’apparaît pas dans nos données, au profit de l’université de Paris. La catégorie “université” comprend également les Comue et autres établissements au statut expérimental.