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Gouverner par la cacophonie : une stratégie à court terme, un naufrage démocratique à moyen terme

Article publié dans Brief, le mensuel de la communication publique

Brief - le mensuel de la communication publique

Dans un récent article de Libération, on découvre que Matignon a temporairement resserré la communication ministérielle, demandant aux cabinets de mieux coordonner les prises de parole. La raison : la menace de censure qui planait sur le gouvernement de François Bayrou. Une parenthèse, nous dit-on, dans une stratégie assumée de « polyphonie », où chaque ministre s’exprime librement, même au risque de contradictions internes.

Cette approche, théorisée par des communicants gouvernementaux, repose sur un pari : mieux vaut occuper l’espace médiatique coûte que coûte, même si cela signifie offrir des déclarations divergentes. « La cacophonie, tant qu’il n’y a pas de crise majeure, protège plus le gouvernement qu’une parole trop corsetée », explique un conseiller dans l’article. Autrement dit, mieux vaut un brouhaha gouvernemental permanent qu’une absence de voix dans le débat public.

Mais ce choix a un coût.

Un brouillard médiatique organisé

Cette stratégie évoque les méthodes de communication populistes : créer du bruit, saturer le débat, multiplier les prises de position contradictoires afin de désorienter les citoyens et d’éclipser toute lecture claire de l’action publique. Une tactique bien connue aux États-Unis sous l’ère Trump, où l’excès d’informations contradictoires sert à brouiller les repères et à maintenir l’opinion dans une confusion permanente.

À court terme, cela permet d’occuper les matinales, de nourrir les chaînes d’info en continu et de détourner l’attention des oppositions politiques. Mais à moyen terme, les effets sont délétères : incompréhension croissante des citoyens, rejet des institutions, défiance généralisée envers la parole publique.

Ce brouillard médiatique affaiblit la démocratie : comment débattre d’une ligne politique quand elle change au gré des ministres ? Comment responsabiliser un gouvernement si ses positions fluctuent d’une interview à l’autre ?

Une frontière ténue entre communication institutionnelle et communication politique

Cet état de fait révèle aussi un enjeu de fond : la grande perméabilité entre communication institutionnelle et communication politique.

L’État communique en tant qu’institution : informer sur ses actions, garantir une lisibilité à travers ses services, assurer une continuité dans sa parole. Mais les responsables politiques qui incarnent temporairement ces institutions poursuivent souvent des logiques personnelles : affichage d’une différence, affirmation d’une trajectoire individuelle, envoi de signaux à telle ou telle frange politique dans un calcul électoral à court terme.

La nuance entre ces deux sphères – institutionnelle et politique – est fine, mais elle est essentielle. Lorsqu’elle est brouillée, c’est la confiance démocratique qui en pâtit. Or, cette nuance est de moins en moins maîtrisée par certains dirigeants actuels, qui privilégient le spectacle médiatique et la survie politique immédiate à la responsabilité institutionnelle.

Gouverner, ce n’est pas une suite de paris électoraux incertains. C’est porter une parole qui engage l’État et qui structure le lien entre les citoyens et leurs institutions.

Une contradiction avec la communication institutionnelle de l’État

Cette confusion est d’autant plus frappante qu’elle va à l’encontre d’un autre axe de communication gouvernementale : celui promu par le Service d’Information du Gouvernement (SIG).

Le SIG revendique au contraire une cohérence et une clarté dans l’expression de l’État. Il déploie une charte graphique unifiée, un design system commun (DSFR) pour les services numériques en .gouv.fr, et promeut une identité visuelle homogène afin de renforcer la confiance des citoyens envers leurs institutions. Comme l’explique son directeur dans un post LinkedIn récent, l’objectif est de garantir une lisibilité et une fiabilité accrues de la communication publique.

Mais comment espérer rétablir la confiance dans l’État si, dans le même temps, sa communication politique repose sur la confusion et la contradiction ?

Le flou comme principe de gouvernance

Loin d’être une simple maladresse, cette cacophonie est un choix. Un choix de gouverner par l’ambiguïté et l’occupation médiatique permanente, plutôt que par une parole lisible et responsable.

Or, gouverner, ce n’est pas noyer le débat public sous un bruit de fond ininterrompu. C’est assumer une ligne, la rendre intelligible et en répondre devant les citoyens.

La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Et elle ne se construira jamais sur la confusion organisée.

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