Dimanche 14 février, à l’occasion d’une interview sur CNews, avec le mot « islamo-gauchisme », Frédérique Vidal a déclenché un vent de fronde très puissant dans l’enseignement supérieur et la recherche française. Elle a ouvert une séquence politique qui n’est pas encore refermée à l’heure où nous écrivons ces lignes. Nous avons voulu revenir sur les tweets qui ont marqué ces 5 jours.
2 min d’interview, 10 jours de polémiques
Dimanche à 10h55, Frédérique Vidal annonce sur son compte Twitter son passage sur CNews. En janvier, elle a honoré de nombreux médias (France Culture, BFM-TV, RTL, France 2, RMC, France Info, France Bleue…) de sa présence pour tenter de déminer le sujet de la précarité étudiante, devenue un fait de société. Ce passage TV est donc un autre épisode de cette séquence de communication pour la ministre.
Dimanche dans la soirée, la Ministre partage 3 tweets. Trois extraits de l’émission face à Jean-Pierre Elkabbach. L’un de ces extraits est celui sur l’islamo-gauchisme. Sur le coup, il suscite assez peu de réactions. 24 heures plus tard, le compte @SoundofScFr (3.100 abonnés) repartage l’extrait. Sound of science est un site d’information scientifique tenu par Martin Clavey. Et c’est c’est à partir de ce tweet que les choses s’emballent.
Nous avons figuré dans cette infographie les principaux moments de la séquence. Pour chacun d’entre eux, nous avons analysé :
- les retweets
- le nombre de mentions
- les likes
- et le nombre de commentaires
Les ingrédients du bon feuilleton médiatique
Après des mois difficiles à l’université, privée d’enseignement en présentiel contrairement à d’autres types d’établissements (lycées, prépas, etc.), la paupérisation galopante de la population étudiante et son exposition médiatique, la Ministre était déjà sur la défensive. Dans un contexte explosif. Le sujet « islamo-gauchisme » a été l’étincelle.
Il se trouve que ce sujet de société cristallise des oppositions jusqu’au sein de la majorité. Il était déjà apparu il y a quelques mois dans une prise de position de Jean-Michel Blanquer. Prise de position à laquelle Frédérique Vidal s’était opposée. Dès que la Ministre de l’enseignement supérieur a ouvert le bal, dimanche 14 février, l’enchainement des faits a alimenté la visibilité de la polémique. Les rebondissements ont maintenu la tension :
- la réaction très vive de la CPU,
- la réponse du CNRS,
- le sondage de CNEWS,
- le lancement d’une pétition pour la démission de la Ministre.
Le tout, dans un environnement média qui ne voulait pas être en reste : avec des unes de quotidiens (voir ci-dessous), des invités en plateau (notamment Jean Chambaz, le président de Sorbonne université), des experts qui commentent…
Que retenir de la séquence ?
Le tweet de la CPU
Il bat tous les records : la réponse à la Ministre est le tweet le plus partagé et le plus liké de l’histoire du compte @CPuniversite (31k followers). Jusqu’à présent, le record était détenu par ce tweet. Cela aurait dû alerter la Ministre….
Retenons aussi la bonne prestation de Jean Chambaz sur France Info. Le discret président de Sorbonne université a fait une forte impression, à tel point qu’il se retrouve ensuite attaqué pour son passé militant sur CNews (extrait vidéo à 2:21)… Il ne faisait pourtant que reprendre des éléments factuels sur l’islamo-gauchisme.
Le tweet du CNRS
Plus discret et moins d’unanimité autour de ce tweet ; pourtant il bat lui aussi tous les records en devenant le tweet le plus RT et liké de l’histoire du CNRS (180k followers). Par effet de bord, un autre tweet récent se place immédiatement en seconde position : les internautes y ont vu un message caché à l’intention de Frédérique Vidal. Mais jusqu’à présent, le tweet qui avait eu le plus de succès (14 fois moins de likes) était beaucoup plus sage…
L’image de l’université attaquée par sa propre ministre
Que restera-t-il de cette séquence dans quelques semaines, mois ? Si le tourbillon et son impact ont semblé énormes ces derniers jours, les métriques nous aident à relativiser.
La tempête « islamo-gauchisme » assez localisée…
Si les tweets de la CPU et du CNRS ont atteint, à leur échelle, un niveau d’engagement et de visibilité stratosphérique, c’est parce qu’ils se sont fait le porte-voix d’une communauté fatiguée et exaspérée par un an de louvoiement sanitaire. Mais ce « buzz » reste cantonné à une sphère relativement étroite. Au 24 février, la pétition lancée pour exiger la démission de Frédérique Vidal comptait à peu près autant de signatures que de likes sur le tweet du CNRS.
Dans la même période (19 février), l’atterrissage du robot de la Nasa Perserverance sur la planète Mars a suscité 1,5 million de messages sur Twitter. L’actualité de la science n’ a donc pas été éclipsée par cette polémique.
Le nombre de vues sur les vidéos de la séquence nous donne également une échelle. La vidéo la plus vue est celle de @SoundofScFr : 907.000 vues (22 février) loin devant celle de @LCP : 560.900 vues (22 février).
Quand on les compare à des événements plus récents — comme les distributions alimentaires aux étudiants (Brut – 2,4 millions de vues), ou bien à des vidéos de vulgarisation scientifique comme cette vidéo de Jamy (Konbini – 767.200 vues)—, ces métriques ne sont pas hors-norme.
…mais qui fragilise un peu plus l’édifice
Aussi intense qu’ait été la polémique ces derniers jours, nous pensons qu’elle aura peu d’incidence à court terme (inscriptions Parcoursup, etc.) mais elle est un caillou supplémentaire dans le jardin de l’image globale de l’université. Une image qui, en France, est « contrastée » mais régulièrement alimentée et sans doute insuffisamment maîtrisée.
Témoin de ce défaut de maîtrise : nous disposons d’assez peu d’études sur le sujet de l’image des universités. La chaîne CNews a mis cinq jours à sortir un sondage sur une polémique qu’ils ont eux-mêmes contribué à alimenter, et ce sondage demande aux Français interrogés leur avis sur l’université. Le ministère de Frédérique Vidal n’a, lui, jamais publié d’étude sur l’image des universités. À notre connaissance, les derniers chiffres datent de 2012…